L’article L.121-1 du code forestier définit les objectifs de gestion durable des bois et forêts, « l’Etat veille : (…) à la régénération des peuplements forestiers dans des conditions satisfaisantes d'équilibre sylvo-cynégétique - L. 425-4 du code de l'environnement (…) qui, « consiste à rendre compatibles, d'une part, la présence durable d'une faune sauvage riche et variée et, d'autre part, la pérennité et la rentabilité économique des activités agricoles et sylvicoles ». Le PRFB a précisé que « la gestion cynégétique et sylvicole sur un massif cohérent doit permettre la régénération des essences forestières du massif sans protection (à l’exception des feuillus précieux) dans des conditions technico-économiques satisfaisantes pour le propriétaire. »
La forêt en déséquilibre
Dans le cadre de la construction du PRFB, chasseurs et forestiers ont définis différents zonages
- Les « zones à enjeux » correspondent à des forêts dans lesquels ont été mises en évidence des difficultés de régénération des essences forestières du fait d’un déséquilibre sylvo-cynégétique avéré,.
- Les « zones à surveiller » sont des secteurs dans lesquels il importe d’éviter une dégradation supplémentaire des conditions de renouvellement des peuplements forestiers.
Les forêts du Grand Est accueillent chevreuil, sanglier, cerf élaphe, daim et chamois. À noter l’existence anecdotique de mouflons (en Moselle et dans les Ardennes) et de cerfs sika.
Les dégâts en forêt
Les dégâts alimentaires regroupent :
- les abroutissements : consommation des bourgeons, jeunes pousses et rejets, induisant des déformations, apparitions de fourches, retards de croissance, et jusqu’à la disparition des essences les plus sensibles ;
- les écorçages : consommation des écorces altérant le bois et favorisant le développement de pourritures, voire le dessèchement et la mortalité des tiges ;
- la consommation de fruits forestiers par les sangliers (glands, faînes, châtaignes…), impactant le renouvellement des peuplements ;
- l’arrachage ou le déterrage des plants par les sangliers, pour se nourrir des racines ou profiter des vers dans la terre travaillée au moment de la plantation.
Les dégâts comportementaux sont liés aux frottis : les brocards et cerfs mâles frottent leurs bois sur les arbres, pour les débarrasser du velours, pour marquer leur territoire ou en période de rut. Ils provoquent ainsi le décollement de l’écorce en lambeaux.
Essences les plus sensibles : chênes, feuillus précieux (érables, frêne, merisier), sapin, épicéa, douglas, peuplier et châtaignier. Les risques d’abroutissement persistent jusqu’à ce que les tiges atteignent une hauteur de 1,20 m en présence de chevreuil, 1,80 m pour le cerf. Les stades de gaulis et perchis sont les plus sensibles à l’écorçage.
Dans les zones en déséquilibre sylvo-cynégétique marqué, les impacts du gibier sur les peuplements sont autant économiques qu’environnementaux :
- perte de valeur marchande des bois due à l’écorçage et au frottis,
- retards de croissance des essences objectifs,
- surcoûts liés à la protection des plants,
- impossibilité de renouvellement naturel, conduisant à une perte de diversité génétique et donc de capacité d’adaptation,
- perte de biodiversité (y compris dans les essences forestières), réduisant là aussi la capacité de résilience des forêts aux agressions biotiques ou climatique,
- remise en cause de la réussite de la régénération naturelle.
Les propriétaires peuvent solliciter une indemnisation auprès des chasseurs en compensation des dégâts subis. Mais dans les faits, elle est difficile à obtenir.
L’augmentation des populations de gibier a un impact significatif sur les milieux naturels, les habitats et les espèces (disparition des strates herbacées et arbustives, dégradation d’habitats, disparition d’espèces végétales et animales). Ces évolutions peuvent être aggravées localement par certaines pratiques d’agrainage. En Alsace, le déséquilibre entre forêt et gibier perdure. Si la chasse rapporte un revenu direct aux propriétaires forestiers, les dégâts liés au gibier impliquent des coûts supportés par les propriétaires et gestionnaires forestiers, afin de préserver la ressource forestière et d’en assurer l’avenir. Il existe des situations où ces surcoûts dépassent largement les revenus de la chasse.
Améliorer l'équilibre forêt-gibier
Les outils à disposition des propriétaires pour améliorer l’équilibre forêt-gibier
Le plan de chasse
Le plan de chasse attribue, un quota minimal et maximal d’individus d’une espèce à prélever. C’est l’outil principal pour réguler les populations de grand gibier. Il est obligatoire pour les cerfs élaphes, daims, mouflons, chamois, isards et chevreuils.
Une forte implication des propriétaires forestiers dans l’élaboration des plans de chasse est fondamentale pour permettre une prise en compte des enjeux forestiers dans la gestion des populations de gibier.
Le bail de chasse
Le bail de chasse se résume à un contrat passé entre un propriétaire de terrains et une personne physique ou morale (et dans ce cas de son représentant), dont l’objet est la location du droit de chasse. Il doit donc comprendre les informations sur :
- le bailleur et le preneur
- l’identification du territoire de chasse à travers les références cadastrales
- la durée définie. A l’expiration de ladite période, il est nécessaire de préciser si le bail sera reconduit tacitement ou s’il se termine de plein droit. En cas de décès du bailleur, la présente location ne pourra pas être résiliée. En cas de décès du preneur, le bail sera résilié de plein droit au jour de la fermeture de la saison de chasse en cours au moment du décès ou sera poursuivi par les ayant droits (à définir dans le bail). En cas de vente totale ou partielle du territoire de chasse, la présente location ne sera pas résiliée.
- du montant du loyer annuel, des modalités de versement, des conditions de l’éventuelle révision du loyer et de résiliation du bail (non-paiement de loyer, mini des plans de tirs non réalisé deux années consécutivement…)
- des charges et conditions d’application du bail (cession et sous location interdite par le preneur sauf accord préalable écrit du bailleur ; délégation au preneur du droit de destruction d’ESOD* ; demande de plans de chasse ; définition des modalités de travaux et d’aménagements cynégétiques ; de la poursuite de la gestion forestière et autres activités…).
Les fiches de signalement de dégâts de gibier
Au cours de l’élaboration des plans de chasse, le CRPF et les organismes forestiers représentatifs sont consultés par l’Etat (fourchette minimum/maximum), puis par les fédérations de chasse sur les plans de chasse individuels. Pour assurer ce rôle une transmission d’information entre le niveau local et le niveau départemental de décision, la remontée par les propriétaires et gestionnaires de fiches de signalement de dégâts de gibier répond à cette problématique.
La procédure de création d'un compte et d'un signalement des dégâts forestiers est détaillée dans le tutoriel.
Les indicateurs de changement écologique
Il existe différents outils pour suivre l’évolution des populations d’ongulés sur le terrain. Les indicateurs de changement écologique (ICE) fournissent des informations sur l’évolution du système « forêt cervidés » au cours du temps. L’indice de consommation (IC) et l’indice d’abroutissement (IA) permettent d’observer les variations de la pression de consommation des ongulés sur la flore lignifiée d’un massif forestier. Le CNPF Grand Est est impliqué depuis de nombreuses années dans la mise en œuvre sur plusieurs massifs en région Grand Est de 2 400 placettes, en collaboration avec différents partenaires (Office National des Forêts, Office Français de la Biodiversité, Fédérations des Chasseurs). L’objectif est d’étayer les discussions pour l’établissement des plans de chasse avec des données de terrain.
Les pratiques cynégétiques et sylvicoles pour limiter les dégâts de gibier
1. Pratiques cynégétiques favorables à l’équilibre forêt-gibier
- Appliquer ou faire appliquer le plan de chasse en visant le maximum
- En cas de location, signer un bail de chasse avec des clauses garantissant une pression de chasse suffisante et des comportements adaptés en matière d’agrainage et de pratiques de chasse. L’établissement d’une convention d’agrainage entre le propriétaire et le détenteur du droit de chasse est obligatoire.
- Chasser un nombre minimum de jours par saison répartis régulièrement
- Prélever tôt en saison les animaux pour réduire leur pression alimentaire pendant la mauvaise saison.
- Privilégier les tirs d’été sur le brocard dans les zones sensibles aux dégâts de frottis.
- Préconiser un tir aléatoire, et notamment autoriser le tir de jeunes cerfs et bichettes dès l’ouverture.
- Prélever en priorité dans les peuplements sensibles aux dégâts et leurs abords.
- Améliorer l’efficacité des prélèvements avec des modes de chasse complémentaires (traque-affût par ex.) et des équipements appropriés (chaise affût, mirador de battue…).
- En cas de déséquilibre, demander une augmentation des attributions sur plusieurs années consécutives.
- Organiser des battues concertées, le cas échéant complétées par des battues de décantonnement dans les zones refuges, entre territoires voisins (en fixant la date dès le début de saison de chasse) ou des chasses collectives (poussées silencieuses).
2. Pratiques sylvicoles favorables à l’équilibre forêt-gibier
L’objectif est d’améliorer la capacité nourricière de la forêt pour le gibier par différents aménagements qui détourneront les animaux des peuplements sensibles. Le développement d'espèces semi-ligneuses (ronces, myrtilles,…) est recherché pour éviter un report de la consommation sur les essences forestières. Il est recommandé de :
- d’avoir une sylviculture dynamique favorisant un couvert assez clair et permettre l’installation d’une strate herbacée et semi-ligneuse : ouverture et entretien de cloisonnements sylvicoles et d’exploitation, dépressages ou premières éclaircies précoces et fortes, éclaircies régulières.
- Réaliser des coupes régulièrement réparties (« dispersées ») sur toute la propriété.
- Diversifier les types de peuplements (essences, âge, traitement).
- Privilégier la plantation dans le recrû, ne pas dégager en plein sur toute la surface, ni dégager complétement les plants sur la ligne de plantation, mais maintenir une végétation d’accompagnement à leur pied (protection physique contre les dégâts et offre alimentaire pour le gibier).
- Développer des secteurs de gagnage par l’entretien de zones ouvertes intra-forestières (emprises de ligne EDF, prairies), le recépage de peuplements non améliorables (taillis pauvres) pour la production de jeunes rejets, le fauchage ou broyage tardifs des accotements des chemins forestiers, la création de lisières étagées...
- Mettre en place des prés-bois dans des peuplements à faible densité.
- Favoriser les arbres fruitiers (châtaignier, chêne, hêtre, poirier, pommier, sorbier…) et mettre en lumière leur houppier pour favoriser leur fructification.
ATTENTION
En cas de déséquilibre faune-flore, il faut d’abord mettre en place des mesures de réduction de la population de gibier avant d’améliorer la capacité nourricière des peuplements. Dans le cas contraire, le risque est d’accentuer encore le déséquilibre.
Le dialogue entre forestiers et chasseurs sont à encourager, notamment pour établir un diagnostic partagé des causes du déséquilibre. La méthode « Brossier-Pallu » mise en place par le CNPF et l’ANCGG (Association Nationale des Chasseurs de Grands Gibiers) permet de s’interroger sur l’ensemble des composantes du déséquilibre sylvo-cynégétique et d’identifier les mesures correctives les mieux adaptées à chaque situation. Il existe actuellement 2 sites pilotes en Région Grand Est.
La protection des peuplements sensibles
Dans certaines situations, le recours aux protections contre les dégâts de gibier est la seule solution pour permettre le renouvellement des peuplements. Il existe différents types de protection :
- protection globale (clôture/engrillagement),
- protection individuelle (gaine, tube, arbre de fer, pincette protège- bourgeon, filet ou bande plastique spiralée contre les écorçages…)
- ou produits répulsifs.
Le choix en faveur de l’un ou l’autre dispositif dépend principalement :
- des essences concernées et des types de dégâts à prévenir,
- de la surface et de la densité des tiges à protéger (variation du coût/ha),
- des espèces de gibier présentes et de l’importance du déséquilibre.
Le recours à ces dispositifs représente un surcoût important, il peut multiplier par 2 à 4 l’investissement pour mener à bien une plantation ou régénération naturelle. Il faut également prévoir la dépose et le ramassage des protections une fois qu’elles ne sont plus utiles.
La mise en place d’engrillagement est une entrave à la circulation des animaux. Il convient d’utiliser des grillages à mailles larges pour permettre le passage de la petite faune. Les clôtures peuvent par ailleurs conduire à reporter ou aggraver les dégâts au niveau de peuplements voisins, non protégés.
Cas particulier de la loi locale
La région Grand Est est, selon le département, régie par les trois régimes de chasse possibles en France : la loi locale, le régime des associations communales de chasse agréées et le droit général.
En Alsace Moselle, la chasse est régie par des lois héritées de l’annexion allemande. Les baux de chasse sont renouvelés tous les 9 ans. A ce titre, les propriétaires du foncier non bâti sont consultés pour savoir s’ils souhaitent abandonner ou non le produit de la location de chasse à la commune.
Les lots de chasse communaux sont encadrés administrativement dans leur organisation par un cahier des charges type négocié entre commune, forestiers publics et privés, agriculteurs…
Les propriétaires du foncier non bâti peuvent se réserver le droit de chasse à partir d’une surface de 25 ha d’un seul tenant. A ce titre, afin de faciliter l’exercice de la chasse ; ils ont la possibilité de louer des enclaves sous certaines conditions.
Pour les départements de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle le régime de chasse en vigueur est l’Association Communale de Chasse Agréé sur l’ensemble du département. Les propriétaires fonciers non bâti peuvent toutefois retirer leur terrain de l’ACCA s’ils possèdent 60 ha d’un seul tenant en Meuse et 40 ha d’un seul tenant en Meurthe-et-Moselle. Ils sont régis par la loi Verdeille de 1964 (art. L. 422-2 à L. 422-26 du Code de l’Environnement). Les départements des Ardennes, de la Marne et de la Haute-Marne ont des ACCA ponctuelles fondées sur le volontariat.
Les départements de l’Aube, des Vosges et pour les secteurs sans ACCA des départements des Ardennes, de la Marne et de la Haute-Marne utilisent le régime de la loi générale régi par l’art. L.422-1 Code de l’Environnement : « Nul n’a la faculté de chasser sur le territoire d’autrui sans son consentement ». La location relève du « louage des choses ».